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Notes sur ma pratique artistique (extraits)

lieux et déplacements

 

Il connaissait certains des mots qu’il entendait, mais jamais il ne les avait entendus tressés tous ensemble

Le Mahabharata

 

Le bonheur de l’espace, c’est le creux du paysage où je me perds, la métaphore de l’absence qui est en moi

Vinçent Bioulès

les questions qui traversent ma pratique sont celles du continu et du discontinu

- fragments, franchissements, voyages -

 

du matériau

- le déjà-là, la trouvaille et sa résonance -

 

de la mémoire et du lieu

le lieu, le déplacement, le passage

le voyage, la découverte, l’errance

le détour, l’obstacle, le franchissement

 

habiter la maison intérieure (la transporter partout avec soi)

 

ce serait quoi, faire un art à hauteur d’homme ?

s’adresser à l’intime de chacun pour lui redonner sa pleine dimension d’être

 

s’occuper de son propre scintillement pour, peut-être, l’étinceler à l’autre

 

matériaux et collection

 

papiers usagés, colorés, traces de vie

petite quête mémorielle

 

travailler sur les évidences du quotidien,

trouver l’évidence, dedans vide et dense

parfois danse

 

collecte simple, mettre en avant ce que je crois profondément :

la possibilité de l’art, de la transformation

de l’acte créateur possible en chacun de nous

 

alors oui, être délibérément du côté de Robert Filliou :

« l’art, c’est ce qui rend la vie plus intéressante que l’art »

 

hybridation

 

les collages me disent toujours quelque chose

 

parfois le hasard

souvent une attention particulière du regard

retrouver la continuité, la juste place du fragment

celle qui peut rendre l’idée plus vivante

formes et couleurs vivantes en l’idée

 

dualité qui cherche son équilibre

petits matériaux simples que sont les fragments de papiers colorés

 

c’est souvent celle-ci, la matérialité, qui surgit, scintille

pour renouveler et nourrir quand le travail n’avance plus

 

rebonds du hasard et des rencontres

non pas sur une table de dissection

 

mais sur un plan où s’opère

une forme d’unité, d’assemblage

 

c’est cela que j’ai toujours cherché dans la contemplation de la peinture

lorsque le disparate - formes, couleurs, touches, contrastes violents - me touche soudain en plein cœur

par sa pleine unité, son juste équilibre

fragments

En ayant un demi centimètre de quelque chose, vous avez plus de chance de tenir un certain sentiment de l’univers que si vous avez la prétention

de faire le ciel tout entier.

Alberto Giacometti

 

cette possibilité merveilleuse du fragment

la possibilité du fragment et son éclat

 

la récolte précieuse

pratique de la quête

 

sidération devant cette photographie de Opal Whiteley œuvrant à la reconstitution de son journal

choisissant entre mille fragments déchirés

 

morceaux de papier retrouvés

et classés dans de grandes boîtes rectangulaires

 

jeune femme au labeur de la reconstitution du précieux de l’enfance

minuscule

 

L'imagination vaut mieux que cela. En fait, l'imagination miniaturante est une imagination naturelle.

Elle apparaît à tout âge dans la rêverie des rêveurs nés.

Gaston Bachelard, La poétique de l'espace

 

ce qui est petit est gentil

oui mais alors pas toujours

le collage du fragment oblige à un geste rapide

il assemble des détails

il oblige à être précis, parfois tranchant

le collage est aussi malléable, périssable, éphémère

 

fascinée par l'épaisseur d'un papier déchiré

qui devient frange à bords multiples

ou ravie par la légèreté de ce fragment et sa couleur diaphane

 

j'invente des appariements de petits bouts menacés par l'oubli

ostinato

ostinato n.m (mot it.) MUS.

Motif mélodique ou rythmique répété obstinément, généralement à la basse d’une œuvre

Croisements sur le pont des arts et amitiés poétiques

Texte de Bruno Doucey en écho du collage Les pays :

 

MÉMOIRE

Pas à pas, mot à mot, image après image, l’artiste invente son chemin, crayons, colle et ciseaux en main.

Comme les hommes d’autrefois, il ne désire et ne redoute qu’une chose : atteindre le bout du bout du monde, là où l’imminence d’une chute

et la peur du vide se conjuguent pour inventer la rotondité de la Terre.

Sans emprunter le pont j’ai traversé le fleuve   

Qui sépare le vide de la rive d’enfance

 

Je n’ai perçu d’abord que formes et couleurs

Volumes renversés par le jeu de l’absence

 

Puis le ciel et la mer ont conclu leur accord

En laissant le rivage dessiner une passe

 

Des roches à la baie et des dunes à l’arbre

Le paysage en moi étirait son échine

 

Pour atteindre le lieu où la maison de pierre

Invoque son passé sur les portées du soir

 

Ce qui reste de ceux qui ont bâti ces terres

Donne au temple brisé son drapé de suaire

 

Et je vais mon voyage dans un monde indécis

Où l’envers n’est jamais le reflet de l’endroit

 

Je vais dans ce pays où le vent nous raconte

L’histoire d’une mue dans un palais de roi

 

Tandis que les rainettes de mes rêves d’enfant

Décillent le réel sur un chemin d’amont

 

Enfance Ô mon enfance en étranges bordées

Mon enfance miroir sous l’étrave du temps

 

Je parle d’un château qui abrite la mer

Et d’une passerelle où dialoguent les arts

 

Enfance je te parle et laisse la mémoire

Protéger une baie à deux pas du silence

  Bruno Doucey – Août 2009

Texte de Alain Boudet en écho du collage Les Sombres

 

Au gré de la lumière

qui sait d'où viennent les bateaux

parcelles de lune et de vent

sur la patience noire des eaux

déposés là

dans l'instant de la halte

gonflés d'envie et peut-être

d'envol

 

Qui sait où ils en sont

du repos                            du départ

eux qui ont en partage

le tremblement fragile

d'un ciel qui n'a plus d'ombre

 

Nous qui les abordons

sans désir de conquête

nous accueillons en nous des parcelles de feu

des embruns                    des tempêtes

des dérives sans fond

vers des rêves sans fin

des rires                          des soleils

 

Et nous voici soudain mis en pièces

désunis

 

Nous voici rassemblés

aériens

 

Nous voici éblouis…

 

Ouvrir les yeux ?

 

Fermer les yeux ?

 

Plus simplement ne plus rien dire

 

Puisque

dans les ports du poème où clignote la nuit

ce sont nos rêves sans amarres

qui voyagent.

 

  Alain Boudet – Décembre 2010

La conférence des oiseaux, récit théâtral de Jean-Claude Carrière, inspiré par le poème de Farid Uddin Attar "Manteq Ol-Teyr"

Lecture en accompagnement de l'exposition des collages La conférence des oiseaux (le Simorgh)

 

HUPPE.

Ne comprenant rien, ils interrogèrent le Simorgh, sans se servir de la langue. Ils lui demandèrent le grand secret.

Alors le Simorgh leur dit, sans se servir non plus de la langue : "Le soleil de ma majesté est un miroir. Celui qui se voit dans ce miroir, il y voit son âme et son corps. Il s'y voit tout entier. Vous avez fait un long voyage pour arriver au voyageur."

Alors les oiseaux se perdirent pour toujours dans le Simorgh. L'ombre se confondit avec le soleil, et voilà tout.

La voie reste ouverte, mais il n'y a plus ni guide, ni voyageur.

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